Suez-Veolia : mais pourquoi diable se précipiter ?

Suez-Veolia : mais pourquoi diable se précipiter ?
Veolia Suez

Veolia Suez

Alors que Veolia a peaufiné son offre pendant des semaines, Jean-Pierre Clamadieu semble vouloir cadenasser l’opération en imposant un calendrier ultra resserré. Au point d’inquiéter les administrateurs d’Engie (et ceux d’AXA, également), mais aussi l’entourage d’Emmanuel Macron, qui commence à percevoir le potentiel crisogène de ce montage financier, à 18 mois de la présidentielle.

Une opération de M&A est un succès lorsqu’au moins deux offres sont sur la table : c’est la garantie pour le vendeur d’obtenir le meilleur prix, et de pouvoir apprécier convenablement la valeur de ses actifs. Pourtant, Jean Castex et Jean-Pierre Clamadieu se sont précipités pour entériner l’offre de Veolia, comme s’ils craignaient qu’en attendant trop longtemps, une contre-offre mieux-disante n’émerge. En ne se mettent pas en situation de bien valoriser leurs titres, l’État-actionnaire et le dirigeant d’Engie se comporteraient-ils de manière irrationnelle, indépendamment de ce que l’on peut penser du bien-fondé de l’opération ? Certes, l’État « stratège » nous a habitués à de nombreux errements, mais ces réactions ne laissent pas d’interroger.

Mediapart, de son côté, n’y va pas avec le dos de la cuillère : dans son enquête consacrée à l’affaire, Martine Orange indique clairement que l’opération se fait au bénéficie de Meridiam, le fonds qu’« à peu près personne » ne connaissait à Paris, qui n’aurait pas la taille ni les compétences pour opérer sur ce marché stratégique de la distribution d’eau, mais qui est dirigé par un proche d’Emmanuel Macron, Thierry Déau. Thiery Déau dont Mediapart nous apprend, justement, qu’il « dit partout qu’il a été un des financiers de sa campagne présidentielle », et l’un des animateurs des dîners de fund-raising londoniens au profit du candidat. Bref, pour Mediapart, le deal de Veolia est une façon indirecte de distribuer des millions d’euros de commissions et autres honoraires, dans une perspective de financement de la future campagne électorale d’Emmanuel Macron.

Une thèse quasi conspirationniste à laquelle s’oppose une lecture plus politique : avec les sorties de Jean Castex et Bruno Lemaire, ne serait-ce pas au fond les « technos » du Gouvernement qui montent une fois de plus au créneau ? Les mêmes (Castex remplaçant Philippe poste pour poste) qui, s’étant montrés inflexibles sur les 80 km/h et la taxe carbone, ont précipité le pays dans la crise des Gilets jaunes. Les mêmes qui ont transformé la réforme des retraites de sujet consensuel (le systémique) en une poudrière sociale (le paramétrique), contre l’avis d’Emmanuel Macron qui avait bien mieux « senti » le pays qu’eux sur le coup.

Dans cette hypothèse, Emmanuel Macron serait plutôt victime d’une lecture technocratique qui porte aux nues le modèle des années 80 du « champion national », qui conduira pourtant immanquablement à une levée de boucliers dans les collectivités locales et de la casse sociale.

Lorsque débutera la campagne présidentielle de 2022, Emmanuel Macron aura-t-il à gérer une grogne sociale et politique montant sur ce sujet ? C’est probable. Sera-t-il éclaboussé si, d’aventure, des membres de son entourage devaient toucher des sommes indécentes lors de cette opération ? C’est bien possible, car tout Paris est désormais embarqué dans ce deal du siècle. Après l’affaire Alstom, peut-il se permettre de donner le sentiment, à nouveau, de brader les joyaux de famille et de fragiliser, via un montage purement financier, une industrie française qui emploie des centaines de milliers de personnes ? À lui de juger.