Infertilité : des chercheurs créent des ovocytes humains à partir de cellules cutanées

Bientôt la fin de l’infertilité grâce à des ovules artificiels ? Des chercheurs ont créé des ovocytes humains à partir de cellules cutanées. Ils ont même pu en féconder certains, leur permettant de se développer en débuts d’embryons. Si ces recherches suscitent de l’espoir chez certains, elles soulèvent aussi d’importants questionnements éthiques.
Aujourd’hui, il est quasiment impossible de traiter l’infertilité des femmes qui ne sont pas ou plus en mesure de produire des ovocytes. Et pour celles à la recherche de gamètes, il y a une insuffisance criarde de dons par rapport à la demande. Pis, même quand on en trouve, la FIV s’avère très souvent inefficace. Pour remédier à ces situations, les scientifiques multiplient les recherches.
Des cellules cutanées transformées en ovocytes humains
Dans une étude publiée mardi 23 septembre dans la revue Nature Communications, des chercheurs américains présentent une solution inédite. Ils ont réussi à transformer des cellules de la peau en ovocytes capables d’être fécondés par un spermatozoïde. Paula Amato, chercheuse à l’Oregon Health & Science University aux Etats-Unis, a participé à cette expérience. Elle assure que la technique permet non seulement aux femmes incapables d’ovuler d’avoir des enfant, mais aussi « à des couples du même sexe d’avoir un enfant apparenté génétiquement aux deux partenaires ».
Une technique inspirée du clonage d’animaux sans fertilisation
Dans le cadre de leur expérience en laboratoire, les chercheurs américains ont retiré les noyaux des cellules cutanées d’une femme ne pouvant plus produire d’ovocytes, puis les ont insérés dans un ovocyte de donneuse, dont le noyau a été retiré également. Cette technique, dite de « transfert de noyau », permet de cloner des animaux sans fertilisation, comme la célèbre brebis Dolly en 1996. Mais cette fois, l’étude est allée plus loin car il s’agissait de cellules humaines, de peau en l’occurrence.
Les cellules cutanées fécondées par des spermatozoïdes
Les chercheurs américains devaient faire en sorte que la cellule cutanée soit fécondée par un spermatozoïde. Cela n’est possible que si celle-ci compte 23 chromosomes, pour recevoir les 23 du spermatozoïde. Or, à l’instar de toutes les cellules non reproductives, les cellules de la peau disposent de 46 chromosomes. Les scientifiques ont donc dû en retirer la moitié, via une technique qu’ils ont baptisée « mitoméiose ». Celle-ci imite la division cellulaire naturelle et provoque la suppression des chromosomes en trop. Cette élimination se fait de manière aléatoire, mais en gardant toujours le même nombre nécessaire.
Les cellules cutanées se sont développées en embryons de quelques jours
Les chercheurs ont ensuite tenté de fertiliser ces cellules cutanées avec des spermatozoïdes. Une dizaine a pu se développer en embryons de quelques jours. C’est un stade théoriquement suffisant pour les implanter chez une patiente lors d’une fécondation in vitro. Mais les embryons ont été rapidement détruits pour ne pas ne pas aller plus loin, comme la technique n’est pas encore éprouvée ni validée.
« La nature nous a donné deux méthodes de division cellulaire, nous venons d’en développer une troisième. », a déclaré Shoukhrat Mitalipov, directeur de l’étude au Centre de thérapie cellulaire et génique embryonnaire de l’Université d’État de l’Oregon. Selon lui, « c’est un exploit qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux moyens de lutte contre l’infertilité ».
Il faudra au moins une dizaine d’années pour mettre au point le processus
La plupart des débuts d’embryons obtenus présentaient toutefois des anomalies chromosomiques. Ce qui signifie qu’il faut encore poursuivre les recherches pour améliorer le processus. Paula Amato estime qu’il faudra au moins une dizaine d’années pour que ces travaux profitent éventuellement à des patientes infertiles. En attendant, elle voit dans les résultats une source d’espoir pour de nombreuses femmes d’avoir des enfants portant leurs gènes, et un motif d’encouragement pour les scientifiques.
La transformation des cellules cutanées en ovocytes soulèvent des questions éthiques
D’autres chercheurs étudient également les cellules non reproductives, comme les cellules cutanées, dans le cadre de l’infertilité. Ils cherchent notamment à les reprogrammer pour les ramener à un stade où elles n’ont pas encore un marqueur différenciant. Objectif : s’en servir pour créer un ovocyte capable de produire un embryon une fois fécondé. Évidemment, toutes ces recherches soulèvent des questions éthiques.
L’Agence de biomédecine estime que la création artificielle de ces gamètes « pourrait profondément bouleverser le paysage de la reproduction humaine », et « modifier, en profondeur, la dynamique de formation des familles, les normes sociales autour de la reproduction, et les liens génétiques qui les sous-tendent ». Le régulateur craint des dérives, surtout un risque d’« eugénisme » à terme. Il appelle donc à « la mise en place d’un cadre éthique et juridique international […] pour éviter une course à l’innovation non régulée ».