Facturation électronique : le marché fait déjà son tri

Facturation électronique : le marché fait déjà son tri

À quelques mois de la réforme de la facturation électronique, la carte du marché se redessine en silence. Derrière une offre pléthorique de plateformes agréées, les premières données internes révèlent une vérité brutale : sept éditeurs seulement captent 93 % des adhésions, portés par des acteurs comme Sage, Pennylane ou Tiime.

La réforme de la facturation électronique, qui entrera progressivement en vigueur à partir de septembre 2026, promettait un vaste renouvellement du paysage des éditeurs. Avec plus de cent plateformes agréées pour assurer la transmission des factures via le Portail Public de Facturation, le marché semblait s’annoncer aussi compétitif que foisonnant. Pourtant, les premières données qui circulent en coulisses dessinent une réalité bien différente : une concentration d’une intensité rare, où sept éditeurs seulement raflent 93 % des déclarations effectuées à ce jour.

Les « 7 magnifiques » de la gestion d’entreprise

L’explosion du nombre de Plateformes Agréées n’aura été qu’un mirage. Alors que 90 acteurs sont encore immatriculés « sous réserve » et 22 ont déjà l’agrément définitif de l’État, les entreprises n’en ont réellement retenu que quelques-uns. Parmi ces élus, on retrouve Sage, Pennylane, Tiime et deux éditeurs verticaux spécialisés dans la santé, tous affichant déjà plusieurs milliers d’adhésions. Le reste du marché, composé d’une centaine de plateformes, ne dépasse en moyenne guère que quelques dizaines de clients chacune. Accrochés mais absents du top 7 on retrouve aussi des noms importants de la gestion d’entreprise, comme Cegid et SAP. Deux éditeurs que l’on imaginait naturellement dans le peloton de tête. Preuve que la dynamique actuelle ne récompense pas seulement la notoriété, ni la taille, mais la capacité à convertir vite, à rassurer, à promettre une continuité de service dans un environnement mouvant. Les fintech, elles, sont bien plus nombreuses à ne pas faire partie du top.

Le climat d’incertitude qui a entouré la réforme depuis son annonce a pu jouer. Les entreprises, en particulier les TPE et PME, ont cherché à minimiser le risque. Comment, pour un dirigeant déjà absorbé par son activité quotidienne, comparer rationnellement plus de cent éditeurs alors que les contours techniques évoluaient encore ces derniers mois ? Le caractère pléthorique de l’offre a fini par brouiller la lisibilité, et le marché a corrigé de lui-même cette fragmentation excessive. Les entreprises ont cherché la sécurité : des acteurs visibles, robustes, capables d’absorber les futures contraintes de conformité, et suffisamment capitalisés pour rester debout dans cinq ans.

105 plateformes pour 7 % du marché

Durer est indispensable, mais effectivement pas automatique. Devenir Plateforme Agréée n’a rien d’un simple acte administratif : c’est un investissement lourd, continu, qui mobilise sécurité, conformité, interopérabilité, et une capacité à s’adapter durablement à un cadre réglementaire mouvant. « Se lancer dans une course à l’immatriculation est un exercice laborieux, chronophage et qui n’est pas neutre en termes d’investissement », résumait récemment Florence Faguer (Tessi).

En théorie, ces exigences auraient dû jouer le rôle de garde-fou naturel : seules les plateformes dotées de moyens financiers, humains et techniques conséquents auraient dû franchir la ligne de départ. En pratique, la barrière n’a pas filtré grand monde : 112 acteurs ont été immatriculés… pour aujourd’hui se retrouver, pour la grande majorité, à grappiller les miettes du marché.

Et c’est là que la mécanique se grippe. Comment atteindre la rentabilité quand 105 plateformes doivent se partager 7 % du marché, dans un secteur où seule une large base clients permet d’absorber l’intensité capitalistique ? Tout indique que la sélection naturelle, brutale mais incontournable, est en marche. Pour ces acteurs fragiles, le défi n’est plus seulement de durer : c’est d’éviter d’être les premières victimes d’une consolidation devenue inévitable.

Dans ce contexte, la surchauffe commerciale observée ces derniers mois prend tout son sens. Le Congrès de l’Ordre des experts-comptables a vu affluer un nombre record de nouveaux éditeurs, fintech venues défendre leur position. Des stratégies marketing agressives, parfois en flirtant avec les lignes jaunes déontologiques ont crispé la profession. Une frénésie qui dit l’état du marché, mais qui laisse intacte la vérité du moment : « beaucoup d’appelés, très peu d’élus ». En dehors des deux-trois fintech qui ont pu s’immiscer parmi le flot de nouveaux conquérants, la réforme a majoritairement renforcé la position des leaders actuels, à l’image de Sage, qui concentrent aujourd’hui une confiance que certains nouveaux entrants espéraient conquérir.

Une réforme qui révèle plus qu’elle ne restructure

En définitive, la réforme de la facturation électronique n’a pas créé un marché nouveau, elle a révélé celui qui existait déjà. Un marché où la confiance prime sur la promesse, où la continuité pèse plus lourd que la disruption, et où la prolifération d’offres finit par se résorber d’elle-même. En attendant la consolidation des données, la liste des acteurs qui compteront demain, désormais plus nette, reste suffisamment conséquente pour créer une dynamique de concurrence.