Feux de forêt : le lourd tribut des forestiers

Feux de forêt : le lourd tribut des forestiers

Beaucoup de propriétaires forestiers ont tout perdu dans les incendies qui ont, cette année, ravagé 65 578 hectares de forêts françaises. Au-delà des dommages écologiques, les feux ont entraîné de très lourdes conséquences économiques, surtout en Gironde et dans les Landes, où des dizaines de milliers de personnes dépendent de la production du bois. Majoritairement peu ou pas couverts par des assurances aux tarifs dissuasifs, les forestiers savent qu’ils devront mettre la main à la poche pour rebâtir la forêt. 

 

Animaux à poils, à écailles et à plumes, arbres et plantes, mais aussi héritages, espoirs, et parfois même la somme de vies entières de dur labeur : quand l’incendie gronde, le feux dévore tout, indistinctement, sur son passage. En première ligne face aux terribles incendies qui ont ravagé, cet été, plusieurs dizaines de milliers d’hectares de forêt en Gironde, les habitants, pompiers, forestiers, agriculteurs et bénévoles n’ont pu que constater les dégâts. A commencer par ceux infligés aux animaux : s’il est impossible de dresser un bilan chiffré des victimes non-humaines, seuls certains oiseaux et grands mammifères sont parvenus, affolés, déshydratés et désorientés, à échapper aux flammes – non sans dommages, comme le rappelle l’association Animal Protect, présente sur place, qui a recueilli « des animaux (…) brûlés aux pattes, qui n’ont pratiquement plus de pattes (…). On a dû euthanasier des animaux qui allaient très bien, mais qui avaient des pattes tellement brûlées qu’on ne pouvait rien faire »

 

Moins immédiatement perceptible, derrière chaque incendie se joue aussi « un drame humain », rappelle Stéphane Viéban d’Alliance Fors Bois. Et le directeur de la coopérative forestière d’alerter sur le sort de ces « propriétaires forestiers qui, en quelques heures, ont perdu le travail d’une vie ». « Tout est parti en fumée », confirme ce propriétaire forestier au Parisien, qui évoque « une perte financière, mais aussi sentimentale, car c’est (son) arrière-grand-mère qui avait commencé à acheter une parcelle de forêt que l’on se transmet de génération en génération ». Déplorant la situation de ses confrères contraints de repartir « totalement à zéro », Bernard Rablade, un autre sylviculteur girondin, estime lui aussi que « l’empreinte sentimentale en prend un coup ». Pour bon nombre de professionnels, les incendies représentent enfin une véritable « catastrophe économique », d’après Philippe Carrère, sylviculteur et maire de Louchats (Gironde) : « la forêt des Landes, c’est 30 000 emplois directs ou indirects. Il y a des propriétaires qui ont tout dans la zone (incendiée). Ces gens-là, ils sont morts comme leurs arbres », confie l’édile au micro d’Europe 1. 

 

De très lourdes pertes économiques après les incendies

 

Quelques chiffres donnent la mesure de cette catastrophe. Les quelque 20 000 hectares de forêts incendiés en Gironde équivalent ainsi à 2 millions de mètres cubes de bois. Or, précise Pascal Mayer, directeur général de Groupama Forêts Assurances, « l’économie de la forêt landaise tourne avec une consommation de 6 à 8 millions de mètres cubes de bois par an. C’est donc 25% du bois récolté chaque année dans le massif landais qui est parti en fumée ». En Gironde, la perte moyenne pour les propriétaires forestiers atteint environ 400 euros par hectare : « donc si vous avez 50 hectares brûlés, vous faites le calcul, ça fait 20 000 euros par an. Si les arbres ont dix ans, ça fait 200 000 euros », évalue un propriétaire landais. Quant à la forestière Nathalie Morlot, qui devait « couper en octobre 10 hectares de pins âgés de cinquante ans, plantés par (son) grand-père », elle évalue ses propres pertes à 143 000 euros. Une somme à laquelle il faut ajouter le coût du reboisement, avec des opérations de nettoyage et de replantage dont le montant pourrait atteindre 3 000 à 8 000 par hectare – contre 1 000 à 1 500 habituellement. 

Mais dans les Landes, « il va peut-être falloir broyer, sortir les arbres encroués. Il y a des surcoûts qui font que reboiser va coûter plus cher qu’à la normale », prévoit Sébastien Barré, conseiller forestier. En d’autres termes, la facture des incendies de cet été en Gironde, où plusieurs dizaines de milliers d’hectares ont brûlé, pourrait largement dépasser les millions d’euros. De quoi décourager les plus optimistes des propriétaires et professionnels du bois, d’ores et déjà confrontés à toute une série d’épreuves et de cataclysmes naturels : « entre les dégâts causés par les tempêtes, les canicules et les incendies, chaque fois on y laisse des plumes », se désole l’un d’entre-eux, qui reconnaît ne plus avoir envie « de continuer, de recommencer à zéro ». A ces pertes écologiques, personnelles et financières s’ajoute, enfin, le fait que très peu de forestiers ont assuré leurs parcelles contre les incendies. Seuls 20% à 30% des massifs landais bénéficieraient ainsi d’une couverture contre les incendies, estime Stéphane Viéban.

 

Assurer les forêts, mais à quel prix ?

 

Le recours à une assurance demeure majoritairement le fait des seuls propriétaires forestiers possédant au moins une dizaine d’hectares – une minorité, donc. Les autres, qui ont pour beaucoup hérité des petites parcelles dont ils ont la charge, ne sont pas enclins à souscrire à ce type d’assurance : moins de 10% des sylviculteurs, pour la plupart privés, sont assurés contre les feux de forêts. Et ce pour une bonne raison : prohibitifs, les tarifs des assurances en matière d’incendies sont bien souvent dissuasifs pour des propriétaires forestiers qui ne tirent que de maigres et irréguliers revenus de l’exploitation du bois – quand ils en tirent un, puisqu’il leur faut parfois attendre une cinquantaine d’années avant tirer un revenu d’un pin, et plus de cent ans pour un chêne ; la génération qui plante et celle qui entretient une parcelle ne sont donc pas sur un pied d’égalité avec celle qui récolte. Enfin, même la minorité de propriétaires assurés contre les incendies n’est pas à l’abri, à l’image de Nathalie Morlot, selon qui « vous avez beau être assuré, ce n’est pas ça qui va remplacer des pins de 40 ans. On va y être de notre poche ». Les années à venir devront donc concilier trois temporalités bien distinctes : celle, courte et brutale, de l’incendie ; celle, de moyen terme, de la couverture des risques ; et celle, au plus long cours, du développement et de la régénération des forêts.