Pierre Danon : « diriger en chef de meute » (entretien)

Pierre Danon : « diriger en chef de meute » (entretien)

Lorsqu’on lui demande une métaphore pour se décrire en tant que dirigeant, Pierre Danon, qui a dirigé de nombreux opérateurs de télécommunications, et actuel Chairman de Volia à Kiev et Vice-Chairman de TDC à Copenhague, suggère une comparaison : le dirigeant peut, par certains aspects, être comparé à un « chef de meute » – voire même, risque-t-il, à un loup.

Selon Pierre Danon, l’image du loup est pertinente parce qu’elle traduit l’esprit d’équipe, l’envie d’aller chercher la performance. Savoir être solitaire et appartenir à une grande famille en même temps : la métaphore du loup c’est aussi le milieu hostile, l’adversité. Interview.

Quelles fonctions occupez-vous chez l’opérateur ukrainien Volia et chez TDC à Copenhague ? Quels enjeux sont rattachés à ces fonctions ?

Pierre Danon : Aujourd’hui, chez Volia, je suis Chairman exécutif, c’est-à-dire que les actionnaires m’ont fait confiance. J’anime le conseil d’administration où nous prenons les décisions stratégiques, mais c’est le directeur général qui mène les opérations. Chez TDC, je suis vice-chairman depuis quatre ans et mon rôle essentiel est d’orienter la stratégie en tant qu’expert en télécommunications. Il y a quatre ans nous étions la moins rentable des entreprises de télécommunication en Europe, maintenant nous sommes la plus rentable.

Vous avez parlé d’adversité, de prédateur dans votre métaphore sur les loups…

Pierre Danon : Je pense qu’aujourd’hui, peu d’entreprises ne sont pas dans l’adversité. Le secteur de la téléphonie mobile est en train d’être sérieusement challengé en France comme il l’a été au Danemark. Nous avons eu aussi là-bas un concurrent qui a cassé les prix, pour prendre un maximum d’abonnés puis revendre aussitôt. C’était un comportement prédateur. Nous avons pu racheter son entreprise, néanmoins les dégâts sur le revenu par utilisateur étaient faits et nous avons dû procéder à d’importantes réductions de coût, ce qui s’est notamment traduit en terme d’emploi.

 

L’irruption de ce type de personnage est-il le risque principal dans votre métier ?

Pierre Danon : Le risque principal c’est le décalage, le nouveau business model. C’est quelque chose qui est beaucoup mieux, et les gens s’en rendent comptent. Ces nouveaux business models viennent de prédateurs ou de génies. Le business model d’Apple, par exemple, est plus génial qu’il n’est prédateur.

Comment gérez-vous les conflits, en tant que chef de meute ?

Pierre Danon : C’est très difficile puisque souvent, les gens nient le conflit. Ce que je conseille à mes équipes, c’est avant tout de se parler et de se rencontrer. Quand ils ne le font pas, je les y pousse jusqu’à jouer le rôle du médiateur si nécessaire.

En terme de management, quelle est la problématique la plus difficile à laquelle vous avez dû faire face ?

Pierre Danon : Le plus difficile que j’ai pu rencontrer, c’est de devoir faire du neuf avec du vieux. Emmener une entreprise où les plis sont faits, qui a une histoire, une trajectoire, des défauts… sur de nouveaux marchés et avec de nouvelles approches. Et il faut essayer de le faire avec la majorité des gens en places. Même si on peut apporter du sang neuf, il faut que les gens adhèrent.

Quelle place accordez-vous au doute ?

Pierre Danon : Le doute est permanent. C’est très important pour un dirigeant. Le système fait que le dirigeant se retrouve seul au bout d’un moment. Le doute est très solitaire, à partager avec beaucoup de prudence. Je ne dis jamais à mes collaborateurs que je doute. Ils ne faut pas qu’ils le sentent. Mais le doute doit être présent et il est mieux managé en équipe que solitaire. C’est pour cela que je crois que je n’ai jamais pris de décision en dehors du comité exécutif. Je me méfie énormément de l’impulsion non factuelle. Je ne peux prendre une décision très vite que si elle est déjà mûre.

Qu’est-ce qui a été fondamentalement perturbé par le contexte de crise dans vos prises de décision ?

Pierre Danon : Ce qui a été fondamentalement perturbé, c’est la notion de risque. On avait l’impression qu’on s’en sortirait toujours au début des années 2000, on trouvait des financements, les marchés étaient bons. Le risque était une notion perdue de vue. Aujourd’hui c’est l’inverse.

Est-ce que vos proches collaborateurs peuvent vous critiquer ?

Pierre Danon : Oui. Enfin, c’est malheureux à dire mais on sent bien que, quand on est patron, ils font attention. Il y a des techniques pour y remédier, comme par exemple envoyer des questionnaires aux collaborateurs. Sous couvert d’anonymat, ils sont plus honnêtes. Les retours sont très intéressants.

Comment prenez-vous contact avec les employés ?

Pierre Danon : Pour toucher les employés, j’utilise deux processus.

Le premier, c’est la table ronde. Je fais venir quinze employés toutes les deux semaines. Pendant une heure, ils m’expliquent ce qui ne va pas. Je ne convoque volontairement pas de chef. Il y a de très bonnes décisions qui en sortent. J’aime bien, c’est intime.

Ensuite, j’utilise le chat. Il y a des gens, notamment des jeunes qui, dans une table ronde, ne parleront pas. Dans un chat, ils se lâchent. C’est très efficace. On a 250 personnes en ligne pendant l’heure et on répond à une cinquantaine de questions. On met le résultat sur le site de l’entreprise pour que tous les employés puissent le consulter.

Et la parité homme/femme ?

Pierre Danon : La parité me paraît aujourd’hui de mieux en mieux prise en compte. Sur le plan du recrutement dans les conseils d’administration en France par exemple, actuellement on ne nomme presque plus que des femmes !

Cette réglementation ne parasite-t-elle pas le recrutement qui doit être basé sur la compétence ?

Pierre Danon : Ce n’est pas grave. Il arrive un moment où la situation est tellement caricaturale qu’on a besoin de cela. Et puis on trouve des femmes très compétentes dans tous les domaines.

La rémunération des dirigeants ?

Pierre Danon : Ce n’est pas un sujet facile. On aimerait que la rémunération des dirigeants soit composée d’une partie fixe, si possible pas trop élevée, et que le reste soit fortement indexé sur la performance. La vraie difficulté, c’est l’appréciation de la performance. On a beaucoup de progrès à faire. Mais en Angleterre, par exemple, c’est quelque chose qui se met en place, par comparaison avec l’évolution d’autres sociétés sur les mêmes marchés. 

Qu’aimeriez-vous que l’on dise de vous une fois que vous aurez fermé la porte ?

Pierre Danon : Des collaborateurs m’ont dit « Comme patron, tu m’as beaucoup apporté. » J’aime aussi que les clients disent « Ça n’allait pas avant qu’il soit là et maintenant ça va mieux. » J’aime bien laisser une trace.