La grogne n’en finit plus contre le paquet neutre

La grogne n’en finit plus contre le paquet neutre

XVM984ec64a-8122-11e5-8473-608ee6f4d557Plusieurs milliers de buralistes se sont rassemblés lundi 2 novembre dernier au soir dans des salles de Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Nantes pour dire à nouveau « non » au paquet neutre voulu la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Derrière les buralistes, une longue liste de personnes de tous les horizons ne veut pas du paquet neutre. Parmi elles, les planteurs de tabac sont montés au créneau lundi 9 novembre durant la nouvelle lecture de la loi en commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, demandant à Marisol Touraine de se limiter à la transposition de la directive européenne. En parallèle, les parlementaires français ont reçu des lettres provenant de différentes organisations professionnelles évoquant les dérives du paquet neutre, rejoignant ainsi des parlementaires américains qui ont récemment mis en garde l’ambassadeur français à Washington contre les dangers de cette mesure.

Les buralistes au bout du rouleau

Plus de 6 000 manifestants se sont rassemblés à Paris, Lyon, Marseille, Toulouse et Nantes lundi 2 novembre pour dire à nouveau non au paquet neutre défendu par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, dans le cadre de son projet de loi Santé. Les voix se multiplient pour dénoncer un projet qui divise.

Alors que la filière traverse depuis 2007 une crise sans précédent avec l’abandon des soutiens Européens, les buralistes dénoncent aujourd’hui une mesure qui fera se transformer leurs boutiques en véritable musée des horreurs. Ils soulignent également que la loi de la ministre de la Santé ne tient pas compte des recommandations de la Convention Cadre de l’OMS pour la Lutte Anti-Tabac. Celle-ci privilégie en effet la prévention à un mécanisme répressif de culpabilisation qui a montré son inefficacité a maintes reprises. L’Australie, l’unique pays à avoir adopté le paquet neutre à ce jour, n’aurait pas vu de baisse significative des ventes légales, alors que le trafic illicite repartait à la hausse à près de 14 %. Par ailleurs, en France, les sondages auprès des fumeurs montrent un scepticisme important puisque 83 % d’entre eux estiment que le paquet neutre ne fera pas baisser la consommation, mais facilitera la production de cigarettes contrefaites.

Les économistes prévoient d’ailleurs avec l’éventuelle mise en place d’un paquet neutre et unique – donc facile à répliquer – une explosion du marché parallèle. Si la composition des cigarettes fait déjà débat, elle est au moins contrôlée en Europe. Il est inquiétant d’anticiper l’effet d’une arrivée massive de contrefaçons ne respectant pas les standards de production européens.

De plus, la contrebande pourrait elle aussi exploser. Avec des pays comme le Luxembourg, la Belgique, l’Andorre ou l’Espagne dans lesquels le tabac est le moins cher d’Europe et où les contrôles aux frontières se font rares, il est inévitable que les consommateurs se tournent vers la distribution étrangère. A la clé, un immense manque à gagner pour l’état, et un handicap majeur à la concurrence pour les buralistes hexagonaux.

En 2014, 1 041 bureaux de tabac ont fermé en raison notamment de la concurrence du marché parallèle. Ce dernier s’élève à 26,3 % des ventes aujourd’hui, le taux le plus élevé d’Europe. Selon les estimations actuelles, ces fermetures vont atteindre 1 200 en 2015. « En terme d’emploi, c’est entre 2 500 et 3 000 personnes qui pourraient se retrouver au chômage à la fin de l’année, car un buraliste ne travaille pas seul, et c’est tout son réseau qui est menacé par l’arrivée du paquet neutre », regrette Pascal Montredon, président de la confédération des buralistes.

Marisol Touraine, seul soutien du paquet neutre ?

De toute part, un nombre croissant d’élus ont émis des doutes quant au paquet neutre. Lors du passage devant le Sénat du projet de loi Santé, l’amendement instaurant le paquet neutre a été très largement rejeté : seulement seize sénateurs (6 socialistes et 10 écologistes) ont voté pour, et 228 contre. Au sein même de la majorité présidentielle, ce projet divise. Fréderic Barbier, député PS du Doubs déplorait une mesure isolée qui portera préjudice au pays si elle était menée à terme : « les buralistes français ne doivent pas être les seuls à appliquer [le paquet neutre] », déclarait-il il y à peu en rendant le rapport de son groupe de travail sur l’avenir des buralistes.

L’idée d’instaurer le paquet neutre en France surprend d’autant plus qu’une directive européenne a été votée pour que tous les pays d’Europe aient les mêmes avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes. Ils devront recouvrir 65 % de la surface du paquet sur l’avant, et l’arrière. Ce texte met tous les pays sur un pied d’égalité.

En voulant faire bande à part, la France se pénalise considérablement. La raison voudrait qu’elle suive la voie des pays dans lesquels la prévention a su réduire le taux de tabagisme, plutôt que de se lancer bille en tête dans une répression vivement contestée. Pourtant, plutôt que d’écouter la volée de critiques adressées à l’égard de son projet, la ministre semble s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Les mises en garde ne datent pas d’hier. En plus de nombreuses réactions dans la presse, un certain nombre de courriers ont étés envoyés aux décideurs publics, afin de les mettre en garde contre les dérives liées à ce projet.

Les parlementaires sont prévenus

La première est une lettre rédigée par Xavier Belin, Président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), envoyée le 10 septembre à tous les sénateurs.

Dans ce courrier il met en garde contre la création d’un dangereux précédent juridique en matière de contrôle de la promotion des produits issus de l’agriculture : « la surtransposition du droit communautaire (…) sans prise en compte de la dimension économique est à la fois source de distorsion de concurrence, de mise en danger de nos AOC, IGP, de mesures de rétorsion commercial et de perte de repères pour les consommateurs ».

Jérôme Duffieux, Président de Traditab, marque de produit fini composée à 100 % de tabac du Sud-Ouest, s’est joint aux doléances le 12 octobre, dans un courrier envoyé à Régine Poveda, députée socialiste du Lot et Garonne. Il y met en garde contre une « mesure si elle était adoptée [qui] signifierait certainement la fin de notre entreprise » et souligne que des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique « ont tous obtenu des résultats au moins équivalents à la France en terme de réduction de prévalence tabagique et optent aujourd’hui pour la transposition de la directive Européenne ».

Une troisième missive datée du 2 novembre 2015 a également été envoyée à Christophe Sirugue, député socialiste de Saône et Loire, Secrétaire de la commission des affaires sociales, par Marc Hervouet, Président du CGI, Organisation professionnelle représentative de l’ensemble du négoce / commerce de gros et commerce international. « La perspective de voir, à terme, appliquer à d’autres produits une obligation de même nature est une source de vives préoccupations, nourries par l’actualité et les réflexions actuellement en cours sur certains marchés (européens, nord-américains ou d’Asie du Sud-est). Ainsi en est-il par exemple de l’Irlande, qui y réfléchit, ou des Etats-Unis où l’introduction du paquet neutre pourrait déclencher une nouvelle campagne de dénigrement du « made in France » dans certains Etats ». Il poursuit « Ce risque est réel et ne nous semble pas avoir été suffisamment pris en compte. En fragilisant nos AOC et IGP, il pourrait demain engager la capacité de nos entreprises à valoriser à l’international les productions de nos terroirs, dans leur diversité ».

Des craintes fondées alors qu’à l’annonce du projet de paquet neutre en France, l’Indonésie (second exportateur mondiale de tabac) a menacé de mettre en place un emballage neutre pour les boissons alcoolisées françaises (incluant le vin). Un groupe de sénateurs américains a également écrit à l’ambassadeur de France à Washington, s’inquiétant du « précédent dommageable » que la loi créerait pour tous les produits pouvant être considérés comme des menaces pour la santé publique. Alors que le traité transatlantique est en cours de discussion, ouvrir la voie à la disparition de la labellisation et l’identification de nos produits d’exception reviendrait effectivement à se tirer une balle dans le pied.