La blockchain, potentiel énorme, dérapages possibles

La blockchain, potentiel énorme, dérapages possibles

Rendue célèbre par le bitcoin, la blockchain offre des possibilités bien plus larges. Cette technologie de stockage et de transmission d’informations agit comme un registre et permet des transactions ouvertes, sécurisées et sans intermédiaire, sur le modèle du peer-to-peer. En cela, elle peut créer un pont entre les aspirations à un renforcement des libertés individuelles, de la sécurité et de la transparence sur internet. Mais attention, tout n’est pas rose, et encore faut-il trouver les bons cas d’usage et assurer un développement maîtrisé de ce produit.

Une pépite, synonyme de rendement que tout le monde s’arrache

Malgré les controverses sur l’emballement autour des cryptomonnaies, la blockchain est encore sur toutes les lèvres. Selon une étude du cabinet d’audit Deloitte, la technologie n’a « jamais été aussi proche » d’une adoption conséquente par le monde de l’entreprise. Tous secteurs confondus, 41 % des cadres interrogés ont déclaré s’attendre à ce que leurs sociétés adoptent la technologie dans les douze mois à venir. Aussi, nombre d’entreprises ont déjà commencé à travailler à l’intégration de la blockchain dans leur process. Une étude similaire menée par le cabinet Gartner établi que d’ici à 2030, la valeur ajoutée créée par la Blockchain devrait dépasser les 3 000 milliards de dollars.

« L’intérêt autour des blockchains est grandissant, la communauté se constitue et la technologie évolue. La Blockchain réduit les coûts, augmente la portée, la transparence et la traçabilité de nombreux processus business », commente Pauline Adam-Kalfon, associée spécialisée dans l’assurance et en charge du Blockchain Lab chez PwC.

Une étude de fond menée auprès de 600 cadres dirigeants dans 15 pays — France incluse — par le cabinet d’audit et de conseil PwC a souligné le consensus autour de l’adoption de la blockchain. À la question « comment décririez-vous l’implication actuelle de votre entreprise (ou organisation) dans la Blockchain ? », seuls 14 % des sondés ont répondu « aucune ». Plus de 4 sur 5, sont donc sur le qui-vive : 15 % affirment avoir déjà un projet opérationnel, 10 % un pilote, 32 % un développement en cours et 20 % sont au stade de la recherche.

D’après PwC d’ici à 2030, 10 % à 20 % des infrastructures économiques mondiales pourraient s’appuyer la blockchain. « Nous commençons à voir un changement d’approche. Les dirigeants d’entreprises n’ont plus une vision simpliste de la blockchain », note Deloitte. Pour le cabinet, « la seule véritable erreur que les entreprises peuvent faire sur la blockchain, c’est justement de ne rien faire. »

 

Un écosystème qui privilégie les start-up, à ses risques et périls

La blockchain suppose la mise en place de nouveaux process et s’accompagne d’une programmation complexe. Aussi, de fait, elle est très favorable aux start-up. Aussi, elle a largement bénéficié du dynamisme du secteur, soutenu à la fois par le marché et des aides publiques généreuses (en France, par exemple, le gouvernement a multiplié les financements à l’entrepreneuriat « agile »). Mais ce lien fort ne se fait pas sans risques. Rappelons par exemple que 90 % des start-up en France échouent selon une étude de l’INSEE de 2016.

 

La dépendance à l’écosystème start-up pose également la question de la limite humaine : en confiant son projet à de jeunes entrepreneurs pour la grande majorité très téméraire, voire atteinte d’une hubris dangereuse, une grande entreprise traditionnelle risque la multiplication des conflits. Le sujet de la confiance est lui aussi crucial dans un monde de start-up. Le fait d’externaliser un service aussi central ne sera pas sans créer quelques inquiétudes dans les entreprises contraintes de se livrer pieds et poings liés à un client, sans capacité de contrôle véritable sur son travail.

Rappelons à ce propos le scandale Theranos, la start-up qui prétendait révolutionner les tests sanguins. Cette dernière a été exposée pour « fraude élaborée » et les années de mensonges et de subterfuges par la Securities & Exchange Commission (le Bercy américain). Elle avait levé plus de 700 millions de dollars d’investissement, profitant justement de ce manque de transparence.

Autre limite de la blockchain : une ruée vers l’or attire toujours une pléthore d’entrepreneurs plus ou moins acculés. Bon nombre de chefs d’entreprises, après un échec professionnel, tentent de se reconvertir dans ce nouveau secteur à grand renfort de communication, comme Corentin Denoeud, désormais chez Block Chain Studio après son échec dans le secteur de l’aviation de luxe sur fond de bras de fer contre ses actionnaires. Un bras de fer qui se poursuit en un grand « déballage » en ligne, « teinté d’une volonté de nuire à son ancien projet », comme l’explique le magazine spécialisé Rude Baguette. Une vraie épine dans le pied, notamment pour Engie qui est associé au projet, dans un secteur qui repose quasi entièrement sur la confiance…

Bref, la blockchain doit se conjuguer avec une éthique individuelle irréprochable, au risque de susciter la défiance.

 

Des failles à prendre en compte

Enfin, intrinsèquement, la blockchain a quelques limites qui ralentissent sa diffusion au sein de la société. En premier lieu la scalabilité : on a assisté à une laborieuse saturation des systèmes d’échanges alors que le succès et le recours aux cryptomonnaies augmentaient exponentiellement. Et ces limites sont réelles et quantifiables. On peut citer l’exemple du protocole d’échanges Ethereum, qui estime pouvoir traiter un maximum de 15 transactions par secondes — contre 45 000 pour Visa. Non contents d’être considérablement ralentis, les échanges de cryptomonnaies sont également devenus très coûteux (35 dollars en décembre dernier !).

Enfin, cette technologie souffre à la fois de sa complexité et de son manque de développement. Elle est basée sur une logique très différente des navigateurs traditionnels – et à ce titre n’est pas du tout user-friendly. Mais paradoxalement, la blockchain est aussi un produit aux algorithmes et au langage de programmation basiques — un frein important pour développer des applications complexes. On peut dire que la blockchain en est encore à un stade de développement, et que l’amélioration de l’expérience utilisateur ainsi que la montée en gamme viendront dans un second temps. Aussi, si intéressante soit cette technologie, pour qu’elle soit réellement utile, il faut encore innover.